La « Force »
La « Force » est l’un des concepts essentiels de la saga Star Wars, et l’élément qui la fait définitivement sortir de la science-fiction classique pour la faire entrer dans le domaine de la fantasy. La Force est un élément qui renvoie tout à la fois au fantastique et au mysticisme. Rappelons que c’est la maîtrise de cette fameuse Force qui donne leurs pouvoirs surnaturels aux chevaliers jedi. Parmi ces pouvoirs figurent une forme de transmission de pensée, la télékinésie, des réflexes hors du commun, une capacité de manipulation mentale, etc. Ce qu’est cette fameuse « Force » est par contre difficile à définir, de même que le terreau mythologique, philosophique ou religieux sur lequel ce concept a germé.
Dans l’épisode IV, Obi-Wan/Ben donne une première explication à Luke : « C’est la Force qui donne son pouvoir au Jedi. C’est un champ d’énergie créé par tout être vivant. Ça nous entoure, nous pénètre, et unit la galaxie entière en un tout. » On conviendra que cette définition est suffisamment vaste pour, au bout du compte, ne pas vouloir dire grand-chose. Le complément apporté par Obi-Wan dans le même épisode n’est guère plus explicite : « (La Force) dirige, mais peut aussi obéir. » Le « pratiquant » de la Force doit donc à la fois lui être soumis, mais peut aussi l’utiliser pour son usage personnel. La seule caractéristique évidente de la Force est en tout cas d’être une philosophie qui implique une pensée transcendantale, et donc une forme de mysticisme. Comme le dit Obi-Wan lorsque Luke réussit une de ses premières épreuves de développement psychique : « Tu as fait tes premiers pas dans un univers plus vaste. » Il est important de noter que malgré ce que dit un des officiers de l’Empire, la Force n’est pas à proprement parler une religion. Pas de prophète, pas de livre sacré (même si l’épisode VIII, dans la nouvelle trilogie, semble montrer de tels livres, immédiatement remis en cause avec humour par Maître Yoda), pas d’icône, pas de dogme ni de prière — mais à l’évidence une forme de technique de méditation.
On a bien souvent tenté de rapprocher la Force de concepts philosophiques ou religieux précis ou rigoureusement définis. En fait, il semble bien, à l’évidence, que la Force soit une création scénaristique syncrétique. Il s’agit d’une part d’une idée géniale, qui permet à certains protagonistes d’avoir des super-pouvoirs, sans pour autant être des super-héros semblables à ceux des comics. Mais surtout, ce concept est une émanation directe de courants de pensée mystiques divers qui fleurissent en Occident, et plus particulièrement aux États-Unis, depuis pratiquement le début du XXe siècle. Certes, la philosophie de Star Wars semble être à l’évidence un avatar du « New Age », dont elle reprend certains des thèmes : énergie universelle dans l’univers, développement des capacités psychiques et en particulier l’intuition, transcendance sans dogmes religieux, et, comme son nom même l’indique, passage dans un « nouvel âge » qui sonne un peu comme un concept de science-fiction (même s’il s’agit le plus souvent d’un concept astrologique, le passage de l’ère du Poisson à celle du Verseau). Mais le New Age puise lui-même dans bon nombre d’autres mouvements ou courants de pensée mystiques (yoga, hindouisme, zen…), dont il opère lui-même un curieux syncrétisme, ou à côté desquels il se développe en entretenant certaines correspondances.
L’influence de la tradition mystique orientale n’est en fait pas neuve, aux États-Unis même. Celle-ci se fait sentir depuis le début du XXe siècle avec divers mouvements ésotériques, d’un ésotérisme en fait très tourné vers l’extérieur et donc assez connu dans leurs concepts et leurs pratiques. Le principal, dans ce domaine, est la Théosophie (ou Société théosophique), que nous avons déjà évoquée, fondée par Helena P. Blavatsky, initiée selon ses dires par des grands maîtres orientaux et qui a importé leur « doctrine secrète » en Occident, au travers de ses livres et de son mouvement, qui aura une grande influence. Notons aussi qu’elle aura de nombreux détracteurs, et en premier lieu René Guénon, qui évoque dans son ouvrage Le Théosophisme l’histoire d’une « pseudo- religion » (1921 ; Guénon, par la suite, proposera sa propre étude des traditions hindoues). De cette théosophie, en tout cas, naîtra en partie l’anthroposophie de Rudolf Steiner avec ses fameuses « écoles » d’enseigne- ment (jusqu’à des divisions du mouvement). Tous ces mouvements sont d’ailleurs toujours actifs de nos jours. Parmi les autres courants de pensée mystiques très actifs aux États-Unis — et plus largement en « Occident » — à la même époque (et également encore de nos jours) se trouvent les nouveaux mouvements Rose-Croix et sur- tout le principal d’entre eux, l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (AMORC), un ordre d’origine américaine, dont le siège mondial se trouvait alors précisément sur la côte ouest des États-Unis (à San José, Californie). Dans un Manuel rosicrucien en vente libre à cette époque, on peut trouver des concepts familiers, comme la « Force vitale », ou une autre énergie spirituelle nommée ici le « Noùs », qui posséderait une double polarité (positive et négative) et serait une sorte d’essence spirituelle abso- lue. Dans tous ces mouvements, une grande place est accordée au développement des pouvoirs psychiques ou spirituels, qui ne sont pas considérés comme des « sorcel- leries » ou des capacités diaboliques, mais des utilisations des forces naturelles et des capacités latentes de l’être humain.
Tous ces mouvements et bien d’autres sont très connus. Ils constituent en quelque sorte un bouillon spirituel et mystique dans lequel la saga Star Wars puise sans doute consciemment (en tant que parfait ressort dramatique) et inconsciemment. L’épisode IV est en tout cas parfaitement en accord avec son époque, en même temps qu’il marque aussi sans doute, par cette technique de recyclage, la fin d’un certain cycle, l’assimilation par l’industrie de courants de pensée à l’origine alternatifs. Par exemple, le fait qu’il existe un « côté obscur » de la Force peut renvoyer au classique diagramme du yin yang. Mais le côté obscur est ici associé au Mal, alors que cette double polarité, dans sa version orientale, n’induit pas un tel concept manichéen.
Vingt ans plus tard, la prélogie, et surtout l’épisode I, introduit d’importantes variations sur le concept de la Force, qui prouvent que le temps de la spiritualité inspirée des années soixante est bel et bien terminé. Du moins, cette spiritualité change de nature. Par exemple, le fait qu’Anakin semble destiné à « rééquilibrer » la Force semblerait induire que celle-ci a été victime d’une sorte d’accident cosmique, semblable à la Chute (ou à ses variations ésotériques). L’épisode I introduit aussi une nouvelle donnée : les « midi-chloriens ». Encore une fois, peu d’explications sont données, et elles le sont, de manière simple, par Qui-Gon Jinn au tout jeune Anakin. Les midi-chloriens seraient de minuscules organismes présents dans les cellules des Jedi, et vivant de manière symbiotique dans leur corps. Ils auraient la capacité de s’harmoniser avec la Force, ou d’être un véhicule ou un médiateur pour qu’un être humain reçoive son influence. Plus le taux de midi-chloriens dans le sang est élevé, plus grande serait la capacité d’un Jedi à utiliser la Force et à recevoir ses bienfaits. Le taux le plus élevé serait détenu par Yoda, avant l’apparition d’Anakin dont le taux bat tous les records. Ce concept bizarre, dont il ne sera plus question dans les deux autres épisodes de la prélogie, semble avoir pour but de redonner un aspect scientifique et rationnel à un thème devenu trop mystique pour sa nouvelle époque. Un déclin de l’ésotérisme au profit, si l’on peut dire, d’un retour au rationalisme ou à la pensée « positive » dans son sens scientiste. Dans Rogue One, un combattant du « bien », qui n’est pas pour autant un Jedi, croit en la « Force », mais l’utilise comme une forme de mantra (« The Force is with me and I am One with the Force »), renouant ainsi avec l’ésotérisme oriental, tandis que l’épisode VII confère une place prépondérante à la Force, puisqu’elle donne son titre au film (The Force Awakens) et qu’un matérialiste obstiné comme Han Solo reconnaît qu’en ce domaine « tout est vrai ».
Extrait de l’ouvrage : Ésotérisme et cinéma
Auteur : Laurent Aknin
Éditeur : Diffusion Rosicrucienne
Nombre de pages : 228
Entrevue avec l’auteur
https://www.youtube.com/watch?v=Cfu6YvJn8e0
Avec : Laurent Aknin – Présenté par Évelyne Bitumba
Réalisation : Véronique Fratila – Durée : 18:11 min