« En cette première année du troisième millénaire, sous le regard du Dieu de tous les hommes et de toute vie, nous, députés du Conseil suprême de la Fraternité rosicrucienne, avons jugé que l’heure était venue d’allumer le quatrième Flambeau R+C, afin de révéler notre position sur la situation actuelle de l’Humanité et mettre en lumière les menaces qui pèsent sur elle, mais aussi les espoirs que nous plaçons en elle.
Prologue
« Faute de pouvoir nous adresser directement à vous, nous le faisons par l’intermédiaire de ce Manifeste. Nous espérons que vous en prendrez connaissance sans préjugé et qu’il suscitera en vous ne serait-ce qu’une réflexion. Notre désir n’est pas de vous convaincre du bien-fondé de cette Positio, mais de la partager librement avec vous. Naturellement, nous espérons qu’elle trouvera un écho favorable dans votre âme. Dans le cas contraire, nous en appelons à votre tolérance…
En 1623, les Rose-Croix placardèrent sur les murs de Paris des affiches à la fois mystérieuses et intrigantes. En voici le texte :
Nous, députés du Collège principal de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville par la grâce du Très-Haut, vers Lequel se tourne le cœur des Justes. Nous montrons et enseignons à parler, sans livres ni marques, toutes sortes de langues des pays où nous voulons être pour tirer les hommes, nos semblables, d’erreur de mort.
S’il prend envie à quelqu’un de nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous, mais si la volonté le porte réellement à s’inscrire sur le registre de notre Confraternité, nous, qui jugeons des pensées, lui ferons voir la vérité de nos promesses ; tellement que nous ne mettons point le lieu de notre demeure en cette cité, puisque les pensées jointes à la volonté réelle
du lecteur seront capables de nous faire connaître de lui, et lui de nous.
Quelques années auparavant, les Rose-Croix s’étaient déjà fait connaître en publiant trois Manifestes désormais célèbres : la Fama Fraternitatis, la Confessio Fraternitatis et les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, parus respectivement en 1614, 1615 et 1616. A l’époque, ces trois Manifestes suscitèrent de nombreuses réactions, non seulement de la part des milieux intellectuels, mais également des autorités politiques et religieuses. Entre 1614 et 1620, environ 400 pamphlets, manuscrits et livres furent publiés, certains pour en faire l’éloge, d’autres pour les dénigrer. Quoi qu’il en soit, leur parution constitua un événement historique majeur, en particulier dans le monde de l’ésotérisme.
La Fama Fraternitatis s’adresse aux dirigeants politiques et religieux, ainsi qu’aux scientifiques de l’époque. Tout en dressant un constat plutôt négatif sur la situation générale en Europe, elle révèle l’existence de l’Ordre de la Rose-Croix à travers l’histoire allégorique de Christian Rosenkreutz (1378-1484), depuis le périple qu’il mena à travers le monde avant de donner vie à la Fraternité rosicrucienne, jusqu’à la découverte de son tombeau. Ce Manifeste en appelle déjà à une «Réforme Universelle».
La Confessio Fraternitatis complète le premier Manifeste, d’une part en insistant sur la nécessité pour l’Homme et la société de se régénérer, et d’autre part en indiquant que la Fraternité des Rose-Croix possède une science philosophique permettant d’opérer cette Régénération. En cela, elle s’adresse avant tout aux chercheurs désireux de participer aux travaux de l’Ordre et d’œuvrer au bonheur de l’Humanité. L’aspect prophétique de ce texte intrigua beaucoup les érudits de l’époque.
Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, dans un style assez différent des deux premiers Manifestes, relate un périple initiatique qui représente la quête de l’Illumination. Ce périple de sept jours se déroule en grande partie dans un mystérieux château où doivent être célébrées les noces d’un roi et d’une reine. En termes symboliques, les Noces chymiques relatent le cheminement spirituel qui conduit tout Initié à réaliser l’union entre son âme (l’épouse) et Dieu (l’époux).
Comme l’ont souligné des historiens, des penseurs et des philosophes contemporains, la publication de ces trois Manifestes ne fut ni anodine ni inopportune. Elle se produisit à une époque où l’Europe traversait une crise existentielle très importante : elle était divisée sur le plan politique et se déchirait dans des conflits d’intérêts économiques ; les guerres de religions semaient le malheur et la désolation jusque dans les familles ; la science prenait son essor et se donnait déjà une orientation matérialiste ; les conditions de vie étaient misérables pour la majorité des gens ; la société de l’époque était en pleine mutation, mais elle manquait de repères pour évoluer dans le sens de l’intérêt général…
L’Histoire se répète et met régulièrement en scène les mêmes événements, mais à une échelle généralement plus vaste. Ainsi, près de quatre siècles après la publication des trois premiers Manifestes, nous constatons que le monde entier, et plus uniquement l’Europe, est confronté à une crise existentielle sans précédent, et ce, dans tous les domaines de son activité : politique, économique, scientifique, technologique, religieux, moral, artistique, etc. Par ailleurs, notre planète, c’est-à-dire notre cadre de vie et d’évolution, est gravement menacée, ce qui justifie l’importance d’une science relativement récente, à savoir l’écologie. Assurément, l’Humanité actuelle ne va pas bien. C’est pourquoi, fidèles à notre Tradition et à notre Idéal, nous, Rose-Croix des temps présents, avons jugé utile d’en témoigner à travers cette Positio.
La Positio Fraternitatis Rosae Crucis n’est pas un essai eschatologique. En aucune façon elle n’est apocalyptique. Comme nous venons de le dire, son but est de donner notre position sur l’état du monde actuel et de mettre en évidence ce qui nous semble préoccupant pour son avenir. Comme le firent déjà à leur époque nos frères du passé, nous souhaitons aussi en appeler à davantage d’humanisme et de spiritualité, car nous avons la conviction que l’individualisme et le matérialisme qui prévalent actuellement dans les sociétés modernes ne peuvent apporter aux hommes le bonheur auquel ils aspirent légitimement. Cette Positiosemblera sans doute alarmiste à certains, mais «il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et pire aveugle que celui qui ne veut pas voir».
L’Humanité actuelle est à la fois troublée et désemparée. Les progrès immenses qu’elle a accomplis sur le plan matériel ne lui ont pas vraiment apporté le bonheur et ne lui permettent pas d’entrevoir le futur avec sérénité : guerres, famines, épidémies, catastrophes éco- logiques, crises sociales, atteintes aux libertés fondamentales, autant de fléaux qui contredisent l’espoir que l’Homme avait placé en son avenir. C’est pourquoi nous adressons ce message à qui voudra bien l’entendre. Il est dans la lignée de celui que les Rose-Croix du XVIIe siècle exprimèrent à travers les trois premiers Manifestes, mais pour le comprendre, il faut lire le grand livre de l’Histoire avec réalisme et poser un regard lucide sur l’Humanité, cet édifice fait d’hommes et de femmes en voie d’évolution. […] »