« Vous devez être le changement que vous voulez voir dans le monde ».
Ces quelques mots de Gandhi sont sans doute les plus cités, dès que l’on évoque sa vie et son oeuvre. L’une et l’autre n’ont-elles pas exprimé patiemment, et aussi concrètement que possible, la quintessence de ce à quoi le Mahatma appelait ainsi ses disciples ? Pour lui n’existait aucune voie d’action parfaitement juste sans la connaissance par l’individu de sa dimension spirituelle, et le choix par celui-ci d’une éthique fondamentale qui la prenne en compte : aujourd’hui, sur le sentier du mysticisme, la référence à cette grande âme s’avère source d’enseignements féconds. Elle est même plus que jamais d’actualité : en ce début de millénaire caractérisé par la mise en danger de notre planète, support et creuset de l’aventure humaine, quoi de plus urgent, quoi de plus indispensable, que la participation active de chacun à l’élaboration d’un cadre de vie global où puisse, pacifiquement, dans un esprit de coopération et pour le bien-être de tous, se poursuivre l’évolution de la grande famille humaine ?
Être le changement que nous voulons… concilier les voies de l’intériorité avec une participation à la vie du monde qui soit, authentiquement, source d’harmonie et de paix pour nous-mêmes, pour notre environnement : sur quelles bases cela est-il possible, dans le contexte actuel ?
Voici, autour de cette question, une réflexion en trois étapes. À chacune d’entre elles correspondent quelques paroles de paix du Mahatma Gandhi. Autant d’appels à mettre en oeuvre, dans cette phase de transition particulièrement chaotique, certaines valeurs universelles que véhicule également la philosophie rosicrucienne.
« La dignité humaine exige qu’on se réfère à une loi supérieure, qui met en oeuvre la force de l’esprit ».
Dans le monde actuel, existe t- il une évidence moins partagée que celle-là ? Alors que nous traversons, à l’aube du troisième millénaire, une période de mutations profondes affectant désormais l’ensemble de notre civilisation, rien ne semble pourtant plus impératif que la mise en place d’une éthique planétaire fondée sur cette « loi supérieure». C’est d’elle que sont issues, en effet, les valeurs éternelles qui fondent la dignité de l’espèce humaine, déterminent les règles de son évolution et définissent, bien sûr, son lien privilégié avec la nature, avec l’univers.
Quoi de plus absent que cette référence, qui ouvrirait à chacun un vaste champ d’expériences à travers lesquelles, conscient de ce qui l’unit aux autres en un seul Tout, il pourrait alors exprimer autour de lui la seule force authentiquement créatrice d’harmonie et de paix durables, celle de l’Esprit ?
Satya
Satya est un mot sanscrit signifiant « vérité », par lequel Gandhi désigne l’Intelligence divine régissant l’univers et auquel, par commodité de langage, il donne fréquemment le mot « Dieu » pour synonyme. A la fois partout et ailleurs que partout, à la fois transcendante et immanente, car « Dieu est en nous et, pourtant, au-dessus et au-delà de nous… », Satya revêt les trois aspects sous lesquels, dans la réalité, Intelligence, Ame et Matière se conjuguent indéfiniment pour donner naissance au multiple. Les éléments de son reflet éphémère se dissocient sans fin, pour se recomposer autrement : Satya est Un. Présence sacrée soutenant le monde et ses lois naturelles (dont Gandhi rappelle qu’elles sont « permanentes »), elle inspire à celui-ci son harmonie, en tant qu’assonance au rythme de la Vie, telle qu’elle procède d’un Ordre supérieur. De Satya participe tout être vivant, toute chose manifestée, et de sa connaissance dérivent les principes de l’ahimsa (mot sanscrit pour « non-violence »). Cette notion, soit dit en passant, est extrêmement proche du « respect fondamental de la vie » sur lequel le Bouddhisme fonde le concept de compassion universelle envers la souffrance de tous les êtres vivants, et, comme l’ahimsa, la volonté de surmonter ces souffrances ensemble.
Tout en animant chez l’être humain un corps physique, l’énergie spirituelle émanant de Satyaconfère à celui-ci la possibilité de pénétrer, bien au-delà de la sphère de ses besoins personnels, un univers infini de sagesse et de compassion. Y reconnaissant sa place privilégiée dans la Création, l’interdépendance fondamentale de tous les êtres et ce qui fonde en profondeur leur dignité essentielle, il peut alors apprendre à exercer son véritable pouvoir : exprimer, dans sa vie quotidienne, la loi gouvernant l’ensemble des énergies manifestées dans l’univers, mettant ainsi à l’oeuvre dans le monde satyagraha : la force de celui qui « étreint » la Vérité.
Les Rosicruciens ont la chance et le privilège de pouvoir opérer sur eux-mêmes une évolution en accordant, chaque jour un peu mieux, action quotidienne et connaissance des lois qui traduisent, sur la Terre, l’Intelligence divine, ceci à un moment crucial de l’aventure humaine. Pour que ne soit pas irrémédiablement abîmé notre écosystème, il est en effet urgent que se développe au plus tôt une nouvelle éthique planétaire basée sur la redécouverte par l’humanité de ses racines spirituelles. Le monde se trouve bien « à la croisée des chemins, en ce sens que son destin dépend plus que jamais de l’orientation que les hommes vont lui donner au cours des prochaines décennies, tant sur le plan individuel que collectif. »(1) En ces temps agités, confus, marqués par la persistance de graves inégalités et de conflits destructeurs, alors que se poursuit dangereusement la surexploitation des ressources naturelles, comment la mise en oeuvre de satyagraha pourrait-elle être le ferment d’une nouvelle harmonie mondiale, basée sur le respect de l’homme, dans toutes ses dimensions, et de l’environnement ?
« Nous sommes tous destinés à mettre nos ressources à la disposition de l’humanité, et pas seulement les meilleurs d’entre nous. Et, puisque c’est la loi, le laisser-aller va tout naturellement céder la place au devoir de renoncement, qui différencie l’homme de l’animal ».
Mettre nos ressources à la disposition de l’humanité : née avec l’éveil de nos facultés spirituelles, telle est dès à présent notre liberté, celle-là même que des millions d’hommes et de femmes doivent redécouvrir, pour que puisse se développer une nouvelle conscience globale indispensable, à terme, à notre survie.
Liberté
Une fois reconnue notre unité principielle avec tout être et toute chose, nous voici… libres, en effet, et tout d’abord d’apprendre à naviguer, sur cet Océan infini de sagesse et de compassion se révélant par-delà les apparences du monde.
Par Annie Michel.