« L’Homme est poussé à l’espoir et à l’optimisme par une injonction de sa nature divine et par un
instinct biologique de survie. En cela, l’aspiration à la Transcendance apparaît comme une exigence
vitale de l’espèce humaine. » Extrait de la Positio F.R.C.(2001)
Lettre ouverte des Rose-Croix aux citoyens et aux citoyennes du monde
du Conseil Suprême de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix
Si nous avons souhaité vous adresser cette lettre ouverte, c’est parce qu’il nous a semblé utile et nécessaire de le faire. Naturellement, nous sommes tout à fait conscients que les propos qui vont suivre ne feront pas l’unanimité et susciteront des désaccords, des oppositions et même des critiques. Profondément respectueux de la liberté d’opinion, nous laissons à chacun le droit de les juger à l’aune de ses propres convictions. Au moins auront-ils eu le mérite de nourrir la réflexion des uns et des autres.
Pour dire les choses comme nous les pensons, nous avons le sentiment que l’Humanité est en proie à une folie collective et qu’elle a perdu tout repère : les émissions les plus affligeantes de bêtise, de vulgarité et d’impudeur, font des records d’audience ; le voyeurisme atteint des sommets ; on fait croire que le but de l’existence est de devenir riche et célèbre, si possible rapidement et sans effort ; la violence, déjà omniprésente dans la vie quotidienne, est exaltée à la télévision et au cinéma ; les médias se sentent obligés de mettre en exergue ce qu’il y a de plus sombre dans la nature humaine ; on qualifie de stars ou d’artistes des personnes dont la qualité première est d’être à la mode ou de plaire à une pseudo élite ; le jeunisme fait des ravages ; on confond « humour » et « raillerie » ; le culte de la personnalité n’a d’égal que celui du corps ; on glorifie la grossièreté et on fustige le raffinement ; le culot, l’impertinence et l’insolence sont élevés au rang de vertus, etc.
La crise financière, économique et sociale à laquelle le monde est confronté depuis plusieurs années n’est pas sans rapport avec ce que nous venons de dire, et l’on aurait tort de l’attribuer uniquement à la dérive d’un système financier et bancaire perverti. Sa cause réside également dans un dérèglement généralisé de la société, notamment dans les pays que l’on dit “développés”. À grand renfort de publicités souvent mensongères et de crédits en tous genres, on incite les gens à consommer coûte que coûte et à faire de l’« avoir » un idéal de vie, au détriment de l’« être ». Par là même, on a fait de l’argent, fut-il virtuel, le fondement d’un “consommisme” effréné. Alors qu’il devrait être un moyen d’échange permettant à chacun de se procurer ce dont il a besoin pour vivre décemment sur le plan matériel, il est devenu un but en soi, au mépris de toute éthique. Il n’a sans doute jamais été un tel agent d’avilissement, un tel vecteur de corruption et une telle source d’inégalité sociale. Faisant office de nouvelle idole, il ne compte plus ses adeptes au royaume de l’avidité et de la cupidité.
Parmi vous, certains penseront que ce constat est trop sévère, voire trop négatif, et qu’il traduit une vision excessivement pessimiste du monde actuel. D’autres iront peut-être jusqu’à présumer qu’il est l’oeuvre d’idéologues réactionnaires en quête d’ordre moral. Pourtant, notre philosophie nous incline à l’optimisme et même à l’utopisme. Quant à la morale, nous en avons une approche que toute personne intelligente et sensée devrait partager, puisque nous voyons en elle le respect de soi-même, d’autrui et de l’environnement, ce qui n’a rien de moralisateur, ni même de moraliste. Aussi, nous pensons que notre jugement sur l’état de l’Humanité est simplement réaliste. Nous allons donc poursuivre en partant du principe que vous le partagez, ne serait-ce qu’en partie.
La question qu’il faut se poser est de savoir pourquoi le monde en est arrivé là. Selon nous, c’est parce qu’il a sombré graduellement dans un matérialisme et dans un individualisme excessifs. De nos jours, la plupart des gens se comportent comme si le but de l’existence était d’acquérir un maximum de biens matériels et de jouir autant que possible des plaisirs sensoriels, parfois jusqu’au paroxysme. Ce faisant, ils nourrissent les aspects les plus égotistes de la nature humaine, tels les désirs de posséder, de dominer, de paraître, etc. Par là même, ils cultivent l’individualisme et son corollaire : l’exclusion. Par ailleurs, le seul fait de croire en Dieu ou de s’y référer est devenu “laïquement incorrect” et confine à la ringardise. C’est ainsi que le « chacun pour soi » est devenu une culture, et l’athéisme un mode de vie. Nous le regrettons profondément, car cela va à l’encontre du bien-être de l’Humanité.
Si vous partagez ce point de vue, vous comprendrez qu’il n’existe qu’une alternative pour mettre fin à cette spirale “infernale” et (re)donner à l’Humanité l’espoir de jours meilleurs : lui insuffler davantage d’humanisme et de spiritualité, ce à quoi nous nous employons à travers notre enseignement et notre philosophie. Nous pensons en effet que l’un et l’autre sont les deux piliers sur lesquels elle doit prendre appui pour s’extirper de sa condition actuelle et s’élever à un état de Civilisation digne de ce nom. Si elle ne le fait pas, la crise généralisée à laquelle elle est confrontée va s’intensifier et générer davantage encore de difficultés, d’épreuves et de souffrances. Tel était déjà le but de l’appel que nous avons lancé dans laPositio Fraternitatis Rosae Crucis, Manifeste que nous avons publié en 2001 et diffusé sur un plan international.
Par « insuffler davantage d’humanisme », nous entendons qu’il devient urgent de (re)placer l’être humain au centre de nos préoccupations et de (re)mettre à son service tous les domaines de l’activité humaine: économie, politique, science, technologie, etc. En effet, comment accepter, à l’aube du XXIe siècle, que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants meurent de faim, n’aient pas accès à l’eau potable, ne disposent pas d’un logement décent, vivent dans le dénuement, n’aient pas les moyens de se soigner, travaillent dans des conditions indignes, ne sachent ni lire ni écrire, etc. Cessons de confondre « vivre » et « survivre ». Cela est d’autant plus triste et regrettable que l’Humanité dans son ensemble dispose désormais du savoir et des moyens techniques permettant de rendre tous les individus heureux. Il s’agit simplement d’une question de volonté.
Au fil du temps, les Hommes ont créé un monde dont ils se sont exclus eux-mêmes. Dans les sociétés modernes, ils se sont rendus trop dépendants de l’informatique et des machines, qui ont fini par les remplacer où cela n’était ni utile ni nécessaire. Par voie de conséquence, ils ont déshumanisé la société et en ont fait un espace de survie où l’espoir a cédé la place à la désespérance. À l’heure d’internet, ils communiquent par écran interposé, mais ne prennent plus vraiment le temps de se parler. Résultat : peu de personnes sont vraiment heureuses, et beaucoup sont stressées, angoissées, déprimées ; en un mot : malheureuses. Assurément, le niveau d’évolution d’une société ne se mesure pas à ses performances technologiques ou à ses connaissances scientifiques, mais au bien-être réel de tous ses membres et au plaisir qu’ils ont de vivre ensemble.
Sous l’effet de la mondialisation, plus aucun pays, aussi grand ou puissant soit-il, ne peut désormais prospérer sans tenir compte du développement des autres, aussi petits ou faibles soient-ils. En cela, le monde est devenu une seule nation, ce dont chacun et chacune devraient se réjouir, et le destin de tous les Hommes est lié. La notion de « Citoyens et Citoyennes du monde » n’est plus une vue de l’esprit, mais une réalité dont il faut tenir compte pour le bien de tous et de chacun. Aussi, et si ce n’est déjà fait, nous vous encourageons à transcender l’individualisme, à dépasser le nationalisme, et à faire vôtre l’article 10 de la Déclaration rosicrucienne des devoirs de l’Homme : « Tout individu a le devoir de considérer l’Humanité entière comme sa famille, et de se comporter en toute circonstance et en tout lieu comme un Citoyen du monde, faisant ainsi de l’humanisme le fondement de son comportement et de sa philosophie. »
Mais être humaniste, ce n’est pas uniquement œuvrer au bien-être de tous les Hommes ; c’est également se préoccuper du milieu dans lequel ils vivent et auquel ils doivent leur existence. Or, vous savez comme nous que la planète risque de devenir invivable si nous ne mettons pas fin aux divers maux qui la menacent (réchauffement climatique, pollutions diverses, déforestation excessive, déséquilibre des écosystèmes, etc.). Là encore, l’Humanité possède la connaissance et la technologie voulues pour agir dans le bon sens, mais la volonté ne suit pas, tant sur le plan individuel que collectif. Au regard des générations futures, nous n’aurons même pas l’excuse de ne pas avoir su ou de ne pas avoir pu. Notre inconséquence est d’autant plus coupable que la Terre est aux yeux de tous un chef-d’œuvre de la Création. Même un athée a tendance à la diviniser en raison de sa beauté et des merveilles qu’elle manifeste à travers ses différents règnes. Face à un tel consensus, qu’attendons-nous pour faire de sa sauvegarde une cause humanitaire universelle ?
Par « insuffler davantage de spiritualité », nous voulons dire qu’il est dans l’intérêt de tous les Hommes de renouer avec Dieu, au sens mystique du terme. Si nous précisons « au sens mystique du terme », c’est parce que nous savons pertinemment que la plupart d’entre vous n’adhèrent pas ou n’adhèrent plus à ce que les religions, que nous respectons au demeurant, en disent ou en ont dit. Depuis des siècles, pour ne pas dire des millénaires, elles Le présentent comme un Surhomme siégeant dans le ciel et décidant de notre destinée, y compris du moment de notre mort. En vertu de cette approche, elles encouragent les fidèles à se soumettre à Sa volonté et à rechercher le salut à travers les dogmes qui s’y rattachent. Or, comme le montre l’expérience, une telle manière de vivre sa foi ne rend ni meilleur ni plus heureux. C’est en grande partie ce qui explique pourquoi nombre de croyants se détournent des religions et même s’athéisent. En sont-ils pour autant satisfaits ?
Mais qu’ils en conviennent ou non, tous les Hommes ont une âme et sont d’essence spirituelle. C’est pourquoi ils ne peuvent trouver le bonheur dans l’athéisme ou le matérialisme. Rejeter Dieu, comme beaucoup le font de nos jours, est donc un non-sens qui mène à l’impasse. Ce qu’il faut, c’est repenser l’idée que l’on s’en fait et agir en conséquence. En ce qui nous concerne, nous voyons en Lui l’Intelligence, la Conscience, l’Énergie, la Force (peu importe le terme) qui est à l’origine de toute la Création. En tant que tel, Il se manifeste dans l’Univers, dans la Nature et dans l’Homme lui-même selon des lois impersonnelles, immuables et parfaites. Or, c’est dans l’étude et le respect de ces lois que se situe le bonheur auquel nous aspirons tous. Le moment est donc venu de passer de la « religiosité » à la « spiritualité », c’est-à-dire de passer de la « croyance en Dieu » à la « connaissance des lois divines », au sens de lois naturelles, universelles et spirituelles.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de transformer les états en théocraties ou d’adapter leurs institutions à une approche religieuse de la vie en société. En cela, la laïcité est une nécessité pour garantir une indépendance mutuelle entre la politique et la religion. Nous pensons simplement que s’il est légitime pour l’Homme de vouloir améliorer sa condition matérielle, cela ne peut suffire à le rendre heureux. Si nous sommes sur cette Terre, c’est pour répondre à une exigence spirituelle qui, tôt ou tard, incite tout être humain à mener une quête de sens. D’un point de vue mystique, notre présence ici-bas a pour but essentiel de prendre conscience de notre nature divine, et de l’exprimer au quotidien à travers nos jugements et notre comportement. Autrement dit, et comme Socrate l’enseignait déjà à son époque, nous sommes sur Terre pour nous parfaire et éveiller les vertus de l’âme qui nous anime. Là est notre raison d’être ; là est notre destinée commune.
Certes, nous ne pouvons pas prouver l’existence de Dieu. Cela dit, les Hommes font partie d’un univers qu’ils sont capables de contempler et d’étudier. Celui-ci est nécessairement l’effet d’une cause, car tout ce qui existe a une origine. Et puisqu’il est régi par des lois que les scientifiques eux-mêmes jugent admirables, il en résulte que cette cause originelle est prodigieusement et absolument intelligente. Dès lors, pourquoi ne pas l’appeler « Dieu » et voir en ce dernier l’Intelligence universelle et impersonnelle qui est à l’origine de toute la Création ? Par ailleurs, lorsque l’on considère ce que l’Homme lui-même a réalisé de plus beau et de plus utile dans les sciences, les arts, la littérature, l’architecture, la technologie, etc., et lorsque l’on songe aux sentiments les plus nobles qu’il est capable d’éprouver et d’exprimer (amour, amitié, compassion, émerveillement, etc.), comment douter qu’il possède en lui quelque chose de divin, c’est-à-dire une âme ?
Comme nous l’avons dit en introduction à cette lettre, nous respectons les convictions de chacun, de sorte que nous comprenons que certains et certaines d’entre vous ne manifestent pas plus d’intérêt pour la spiritualité, au sens que nous lui avons donné précédemment, que pour la religiosité. En revanche, la nécessité d’instaurer davantage d’humanisme en ce monde devrait sembler évidente à la grande majorité d’entre vous. Mais il n’y a qu’une seule solution pour y parvenir: il faut que chacun et chacune s’emploient à devenir humanistes en pensée, en parole et en action, ce qui suppose de mettre le meilleur de soi-même au service du bien commun. Finalement, nous retrouvons là la nécessité d’éveiller et d’exprimer les vertus qui font la dignité de l’Homme, et que nous attribuons pour notre part à ce qu’il y a de plus divin en lui.
Nous ne sommes pas sur Terre pour souffrir, fût-ce pour expier un hypothétique péché originel, mais pour connaître le bonheur et évoluer graduellement vers un état de conscience toujours plus élevé. Et si le monde va aussi mal, Dieu n’y est pour rien, pas plus que le Diable, qui n’a d’ailleurs aucune existence. C’est la faute des Hommes eux-mêmes, dont la majorité agissent encore sous la domination des aspects les plus négatifs de l’ego, laissant libre cours à l’égoïsme, la jalousie, l’intolérance, la violence, etc. Pour rendre le monde meilleur, ils doivent donc se transcender et apprendre à manifester la générosité, le détachement, la tolérance, la non-violence, etc. Comment ? En s’évertuant à transmuter chacun de leurs défauts en sa qualité opposée, jusqu’à devenir des êtres humains accomplis. C’est précisément à cette alchimie spirituelle que les Rose-Croix se consacrent depuis toujours.
Indépendamment de vos croyances religieuses, de vos idées politiques et de vos convictions philosophiques ou autres, il est un fait sur lequel vous ne pouvez qu’être d’accord avec nous : l’Homme n’est que de passage sur cette Terre. Un auteur a dit que « le plus beau des tombeaux est le cœur des vivants ». Dès lors, quel souvenir souhaitez-vous laisser aux êtres qui ont partagé votre existence ou qui vous ont connus ? Quel héritage voulez-vous transmettre aux enfants d’aujourd’hui et aux générations de demain ? Quelle image de vous-mêmes espérez-vous emporter au moment ultime de quitter ce monde ? Comme vous l’aurez compris, ce sont les réponses apportées à ces questions qui, en votre conscience si ce n’est en votre âme, déterminent le sens que vous donnez à la vie. Ce sont elles aussi qui traduisent votre nature profonde et le regard que vous portez sur vous et sur autrui.
En ce qui nous concerne, nous pensons que notre existence ne prend pas fin avec ce que l’on appelle communément la « mort ». Selon nous, elle ne constitue qu’une transition vers un monde purement spirituel. Mieux encore, nombre d’entre nous sont convaincus que tout être humain se réincarne sur Terre de nombreuses fois, afin de poursuivre son évolution et de mener à bien sa quête de perfectionnement. De ce fait, le sens que nous donnons à notre vie conditionne celui que nous donnons à la mort, à l’après-vie et à nos vies futures. Quoi qu’il en soit, vous conviendrez que c’est ici et maintenant que se bâtit le monde à venir. Si vous voulez qu’il soit conforme à vos espérances les plus chères et devienne pour tous un lieu de paix, d’harmonie et de fraternité, joignons nos efforts pour qu’émerge une Nouvelle Humanité, prélude à une Nouvelle Civilisation.
Voici donc ce que nous souhaitions soumettre à votre réflexion. Nous sommes conscients que les propos que nous avons partagés avec vous n’ont rien d’original en eux-mêmes, mais nous pensons qu’ils peuvent conforter les uns dans leurs idées, et inciter les autres à s’interroger. Précisons également qu’ils ne sont pas vraiment nouveaux. Les Rose-Croix du XVIIe siècle, auxquels nous nous rattachons, tenaient déjà le même langage. À titre de témoignage, et ce sera notre conclusion, voici ce que Comenius, l’un d’entre eux, considéré encore de nos jours comme le père spirituel de l’U.N.E.S.C.O., déclara à l’époque :
« Nous voulons que les Hommes, ensemble ou pris isolément, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, nobles ou roturiers, hommes ou femmes, puissent pleinement s’instruire et devenir des êtres humains achevés. Nous voulons qu’ils soient instruits parfaitement et formés, non seulement sur tel ou tel point, mais également sur tout ce qui permet à l’Homme de réaliserintégralement son essence, d’apprendre à connaître la Vérité, à ne pas être trompés par des faux-semblants, à aimer le bien et à ne pas être séduits par le mal, à faire ce qu’on doit faire et à se garder de ce qu’il faut éviter, à parler sagement de tout avec tout le monde ; enfin, à toujours traiter les choses, les Hommes et Dieu avec prudence et non à la légère, et à ne jamais s’écarter de son but : le bonheur. »
Si vous pensez que cette lettre ouverte peut intéresser des personnes de votre connaissance, libre à vous de la leur communiquer. Si au contraire vous n’en partagez ni le fond ni la forme, oubliez-la et faites preuve à notre égard de l’une des vertus que nous apprécions le plus : la tolérance.
Vous souhaitant tout le bonheur possible, nous adressons à tous et à toutes nos pensées les plus fraternelles et nos meilleurs vœux de Paix Profonde.
Sincèrement.
Le Conseil Suprême de l’A.M.O.R.C.